Ferveur Gitane 2025 | édition n°3
Les routes gitanes
Marion Rayet
Le pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer, c’est avant tout une histoire de rencontres.
Il y a d’abord celle avec Sainte Sara. Tout au fond de l’église, il suffit de descendre quelques marches jusqu’à la crypte pour se retrouver plongé dans la pénombre, avec pour seule lumière les centaines de cierges qui brûlent en son honneur. L’atmosphère est pesante, presque étouffante, mais on se fraye un chemin parmi la foule venue l’admirer. Pour la première fois, on l’aperçoit, si gracile et en même temps si imposante, drapée d’un monticule de parures précieuses. C’est donc elle, la patronne des Gitans, celle qui sera ce week-end au centre de tous les regards, épiée par les fidèles et une horde de photographes. C’est elle que l’on vient toucher, embrasser et avec laquelle on immortalise un portrait de famille.
Puis, il y a la famille Baptiste, un clan très respecté car ce sont les gardiens et porteurs historiques de Sainte Sara pendant la procession jusqu’à la mer. Je sympathise avec l’un des membres de cette famille, qui restera inlassablement auprès de sa patronne pour la surveiller et gérer le flux de personnes au sein de la crypte.
Nous avons ensuite rencontré Esmeralda, surnommée Esmée. Si je vous dis qu’Esmée a de longs cheveux bruns bouclés et qu’elle vit tout au long de l’année dans une roulotte près d’Arles, vous ne me croirez certainement pas, et pourtant… Esmée et sa famille s’installent tous les ans deux semaines aux Saintes-Maries pour célébrer Sainte Sara. La famille nous accueille chaleureusement. Après avoir bu un petit verre d’un rosé trop sucré, je prends Esmée à part car je suis irrésistiblement attirée par sa magnifique roulotte en bois, dont la porte est légèrement entrouverte. Elle m’invite à entrer.
À l’intérieur, je suis saisie par la douce lumière qui traverse les vitraux colorés. Elle refait son lit, un peu gênée mais en même temps heureuse de me dévoiler ses trésors : un niglo, compagnon de route des Gitans, et différentes statues de Sainte Sara trônent en majesté sur sa table de nuit. Un parfum, quelques bijoux, de nombreuses photos et une lampe solaire viennent compléter cette curieuse collection, chargée de souvenirs…
Esmée m’explique la signification du drapeau gitan : le bleu lié au ciel, le vert lié à la terre, la roue aux 16 branches qui indiquent les différentes routes empruntées par les siens, le rouge pour le sang versé.
Elle rejoint ensuite les invités et me laisse seule dans l’intimité de sa roulotte. Je mesure la chance incroyable d’avoir pénétré dans son antre et ne souhaite pas abuser de sa générosité. Je n’ai que quelques secondes pour retranscrire en images l’atmosphère des lieux.
Le lendemain, ce ne sont pas des rencontres individuelles, mais une véritable expérience collective dans laquelle nous nous sommes laissés porter. Dans l’église bondée, la messe bat son plein quand les cierges s’allument et… dans un même geste et un même souffle, les bras se tendent vers le ciel à la descente des châsses. Lors de la procession, nous sommes emportés par une foule compacte où les fidèles scandent des « Vive les Saintes-Maries, vive Sainte Sara ».
Puis, c’est une tout autre rencontre qui nous attend : celle avec les eaux fraîches de la mer, qui engourdissent mes orteils. Nous sommes au plus proche des chevaux majestueux et paisibles, une image saisissante qui contraste étrangement avec la ferveur de la foule et l’adrénaline qui monte en nous.
Enfin, une dernière rencontre, quand mon regard croise celui d’un prêtre, aux yeux turquoise et rieurs. Il a suffi d’un sourire pour qu’il m’adresse, d’un simple geste sur mon front, une bénédiction salée.