Ferveur Gitane 2024 | édition n°2

Miroir, pas si beau miroir
Alain Kentos

En approchant de Saintes-Maries-de-la-Mer, le visiteur comprend rapidement qu’il va assister à un événement pas ordinaire. Parkings remplis de caravanes ou de camionnettes, sons de guitares, déviations, gendarmes débonnaires, embouteillages, culs-de-sac, barrières, chaos, moustiques...
Roms, Manouches, Tsiganes et Gitans sont partout dans la petite ville.

Concentration d’étals et de chalands, le marché situé sur la bien nommée place des Gitans ne ressemble à aucun autre. Sabots de voyage manifestement très populaires, ustensiles de cuisine, habits plus kitschs les uns que les autres, grosses chaînes dorées, crucifix roses complètement improbables... On se croit dans un autre monde. À côté d’une échoppe, un haut-parleur muet couvert d’une affiche « seul Jésus sauve ».

Nous avons la chance de pouvoir approcher un groupe de Gitans. Vie rude, profusion de tatouages et de gros bijoux clinquants, personnages pittoresques et attachants. Vieux avant l’âge aussi. Des histoires pas ordinaires.

À l’église, la ferveur est palpable dans la petite crypte surchauffée par les flammes des innombrables cierges et bougies. Mais la foule devient très dense dans cet espace réduit et un service d’ordre se met en place. Dans le chœur, chants et guitares annoncent les nombreux baptêmes. La nef se remplit petit à petit. Arrive la messe dans une église bondée. Recueillement pour certains, curiosité pour d’autres, œil vissé dans le viseur pour beaucoup, parfois sans gêne ni vergogne. Je commence à me sentir voyeur, intrus et oppressé.

À l’extérieur, toute autre atmosphère. Discussions animées sur les terrasses des nombreux cafés et restaurants. Rires, palabres, danses improvisées autour de musiciens enthousiastes. On est emporté par le rythme de la musique, charmé par la grâce des danseuses. Mais la magie est rapidement rompue par des porteurs d’appareil photo n’hésitant pas à envahir l’espace pour saisir le bon cliché de façon pas très respectueuse.

Arrivent les gardians aux chemises bariolées portant fièrement leur trident, qui prennent place devant l’église. La messe va bientôt se terminer. La procession à la mer de Sainte Sara se met en route, traverse lentement une partie du village, ralentie par la ferveur des croyants et la cohue des photographes pour arriver à la plage, où la foule déchaussée, prête à se tremper les pieds, est rassemblée.

Arrivent d’abord les cavaliers sur leur destrier, se frayant à grand-peine un chemin dans la foule. Les pèlerins les plus fervents sont agglutinés autour de la statue, la touchent, lèvent les bras et crient « Vive Sainte Sara » avec conviction. Les hordes de curieux filment la scène en brandissant leur portable, indifférents aux autres spectateurs. Les reporters en herbe font de même. Chacun pour soi, bousculades. Les chevaux regardent tout cela d’un œil placide. Les cavaliers crient aux téméraires que les sabots sont plus solides que les pieds. Photos volées, cohue, coups d’épaule. Coup de chance aussi quand, de façon inexpliquée, les membres de la procession s’offrent à mon objectif. La plupart des photographes suivent les chevaux et le cortège qui retourne à l’église. C’est le moment d’en profiter pour photographier des scènes pittoresques ou amusantes sans bousculade...

Le lendemain, c’est la procession à la mer des Saintes Maries Jacobé et Salomé. Le déroulement de la journée est plus ou moins identique, mais l’évêque assiste à la cérémonie religieuse. Le cortège est moins chaotique et turbulent, composé également d’Arlésiennes en costume. Les Gitans sont moins nombreux. Pas les photographes, malheureusement. Mais prise de conscience interpellante : je fais partie de cette horde qui me dérange.

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